6 - Le génie de la France
Dimitri
Kitsikis
Conférence donnée le 18 mars 2018, à Ottawa,
Sur l’invitation de la Société des amis Canada-France
1 – La Région intermédiaire
Aristote, dans son œuvre intitulée, La Politique (VII, 7, 1327, b. sq), avait remarqué, en géopoliticien, concernant ce que j’ai défini moi-même, en introduisant en géopolitique moderne le concept de Région intermédiaire : «Les nations habitant les endroits froids et celles de l’Europe, sont pleines de courage, mais parfois déficientes en intelligence et en habileté, de sorte qu’elles restent comparativement libres, mais manquent d’organisation politique et de capacité à gouverner leurs voisins. Les peuples d’Asie, de l’autre côté, sont intelligents et habiles de tempérament, mais manquent de courage, de sorte qu’ils sont toujours soumis à la sujétion et à l’esclavage. Mais la race grecque participe aux deux caractères, précisément parce qu’elle occupe la position géographique médiane, de sorte qu’elle est à la fois courageuse et intelligente. Grâce à ces vertus, elle continue à jouir de la liberté, à avoir de très bonnes institutions politiques ; et elle est capable de gouverner l’humanité si elle parvient à l’unité constitutionnelle». Cette unité de la Région intermédiaire fut réalisée par l’élève d’Aristote, Alexandre le Grand.
2 – Une lune détachée de la planète Grèce
Depuis la chute d’Adam, deux civilisations et deux seules couvraient la terre : la Chine et la Grèce, dans son espace de Région intermédiaire. Le reste était couvert de Barbares. Des nomades déambulant de part et d’autre des plaines du nord de l’Eurasie : Germaniques, Slaves et Turco-Mongols.
Ceux-ci traversèrent la muraille de Chine et le Limes romain et s’installèrent, avec armes et bagages, en plein milieu de la civilisation. Kubilaï khan s’empara de Pékin et Mehmet s’empara de Constantinople. Mais déjà le Germain Clovis, élevé sur son bouclier franc, avait pressenti le destin exceptionnel de la Gaule. Il allait devenir le champion du christianisme judéo-hellénique et faire de la France la fille aînée de l’Église.
Lorsque au XVIe siècle, la Renaissance hellénique émigra de Rome en France, cette lune, détachée à peine de la planète Grèce, de la Région intermédiaire, prit les couleurs de la France et les conserva jusqu’à la deuxième Guerre mondiale, jusqu’ à la libération de Paris, en 1944, et la rentrée triomphale du général de Gaulle.
3 – La France unique
La France, sur le sol occidental, était unique, par le fait, qu’elle seule, avait compris qu’au-delà de toute puissance économique, au-delà de toute ratio cartésienne, seule l’orthologismos dialectique grec, primant la créativité du cœur sur l’encéphale, pouvait faire jaillir du cerveau la flamme romantique profondément chrétienne, depuis Rousseau jusqu’à Victor Hugo et jusqu’à Yannis Xenakis.
Le sens de la chose publique, de la res-publica, de la République fit de la
France, de Louis XIV, de Napoléon et jusqu’ à de Gaulle, une monarchie
républicaine, au son des orgues des cathédrales, ayant le sens de la justice,
un phénomène que Marx appela socialisme féodal.
De tous les peuples barbares, du Ve siècle après
J.-C., Anglo-saxons, Germaniques, Slaves et Turcs, seuls les Français
comprirent vraiment les Grecs, au point qu’au moment de la fondation de l’État
grec dans la décennie de 1820-1830, son inspirateur Koraïs (ou Coraïs), vivant
à Paris, soutint que les Grecs devaient passer par la France devenue grecque,
pour redevenir grecs.
Sur sa
tombe, à Paris, il fut écrit en français :
«Ce noble enfant des Grecs évoquant leur
génie,
Fit lever à sa
voix un peuple de héros.
La France, ô
Coraïs, ta seconde patrie,
Te garde avec orgueil dans la paix des tombeaux »
4 – La dispute des Anciens
et des Modernes
Au XVIIe, une dispute littéraire éclata entre deux partis, les Anciens et
les Modernes. Contre les Modernes -qui ne niaient pas que les Grecs étaient
insurpassables mais qui insistaient que pour continuer à créer il fallait aller
au-delà d’eux, pour ne pas paraître comme étant de simples copistes- les Anciens soutenaient que les Grecs,
redécouverts en Italie par la Renaissance, après la chute de Constantinople en
1453, avaient tout dit et que le mieux que les écrivains français pouvaient
faire, était de les copier ave talent, comme en témoignaient les tragédies de
Corneille et de Racine.
D’abord l’Académie platonicienne de Florence, créée par Cosme de Médicis,
en l’honneur du Grec Pléthon de Mystras, au XVe siècle, puis le Collège de
France, créé au XVIe siècle à Paris, par Guillaume Budé, pour l’enseignement du
grec, devinrent le socle culturel de la prépondérance absolue en Occident de la
civilisation grecque.
Mais, au XVIIIe siècle, une vague de scepticisme religieux envahit la France,
par le retour à Sparte et à Athènes, ainsi qu’à la religion de l’Olympe, ce qui
causa une crise de la foi qui alla jusqu’au triomphe du libertinage, à la
condamnation du clergé et des monastères et à l’imposition de la religion
franc-maçonne de l’Être suprême en 1793, par Robespierre, en pleine cathédrale
de Notre Dame de Paris.
Néanmoins, face au scepticisme hellénique de Diderot et de Voltaire,
s’éleva la foi, profondément chrétienne et grecque de Jean-Jacques Rousseau qui
prit toutes ses idées chez les Grecs, en choisissant Sparte, contre Athènes.
Ainsi, au XIXe siècle le renouveau chrétien, s’appuya sur le romantisme rousseauiste
d’un Victor Hugo profondément chrétien, allant au XXIe siècle jusqu’au pape
helléniste Benoît XVI qui rappela que si le catholicisme était entré en
décadence, c’est parce qu’il s’était éloigné de l’hellénisme.
5 – L’Europe face aux musulmans arabes
En 732 après Jésus Christ, à Poitiers, les Arabes musulmans furent repoussé par les chrétiens de
France et pendant tout le Moyen-Âge, contrairement à la légende, selon laquelle
les Arabes auraient transmis à l’Occident le savoir grec, l’Europe occidentale
avait toujours maintenu ses contacts avec le monde byzantin grec.
Dans son livre intitulé, Aristote
au Mont Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe chrétienne, Sylvain
Gouguenheim, prouva l’inexistence d’un quelconque apport significatif des
Arabes à la civilisation européenne. Même en Europe méditerranéenne orientale,
l’hellénisation du monde islamique avait été surtout le fait des Arabes
chrétiens.
6 – Le général de
Gaulle et l’Europe
Au XXe siècle, vint le général de Gaulle, féru d’hellénisme, qui
proclama avec raison : tout Français aura été, est et sera gaulliste.
Alors, Giscard d’Estaing, ancien président de la République Française, s’attela
à la rédaction de la Constitution européenne. Mais déjà, après la disparition
de de Gaulle, l’Europe sombrait dans la décadence et le 29 mai 2005, une date rappelant
la prise de Constantinople par les musulmans, le 29 mai 1453, les Français rejetaient
à près de 55%, le traité établissant une Constitution européenne qu’on avait
voulu d’inspiration grecque judéo-chrétienne.
En effet, les Français rejetèrent, de ce fait, la référence aux
héritages spirituels et aux racines grecques et chrétiennes de l’Europe, comme
suite aux résultats du concile Vatican II de 1962-1965. Il avait fallu
l’intervention d’une Allemande pour défendre l’Europe chrétienne, avec le
soutien de la Pologne, qui avait voulu rappeler dans cette Constitution les
racines grecques et judéo-chrétiennes de l’Europe.
En effet, Annette Schavan, vice-présidente du parti chrétien-démocrate
allemand, avait déclaré : «Il n’y a pas de culture sans racines
religieuses. L’Europe n’est pas simplement une communauté monétaire ou une zone
de libre-échange économique. C’est aussi une communauté qui repose sur un socle
culturel dans lequel elle puise sa force…le christianisme…la philosophie
grecque, le droit romain, la Renaissance ou le siècle des Lumières – le
christianisme a puissamment contribué à forger la perception que nous avons
aujourd’hui de l’homme dans nos sociétés : un individu à part entière dont
la dignité ne peut être bafouée».
7 – Un appel au génie
de la France pour sauver l’Europe
Désormais, la foi manquant, la voix était ouverte à la démolition de la
structure eurocratique de Bruxelles, à l’euroscepticisme, au point que
l’Angleterre elle-même qui avait lutté avec insistance pour contrer
l’interdiction du général de Gaulle, qui la voulait dans l’Europe que «toute
nue», sans son Commonwealth et qui, finalement, avait réussi à pénétrer dans
l’Union européenne, seulement après la mort du Général, en sortit en 2017,
devenue aussi gaulliste que de Gaulle lui-même!
Pour paraphraser le général de Gaulle, «non seulement la France, mais le
monde entier, aura été, est et sera, gaulliste»! Voilà l’essence du génie de la
France.
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